La modélisation pour la fabrication additive ne possède pas forcément la même approche que la modélisation pour la fabrication traditionnelle. Le déploiement d’outils de CAO adaptés est au cœur des réflexions et des discussions, un sujet qu'A3DM Magazine s’est également approprié.
La révolution industrielle promise par l’avènement de la fabrication additive pour l’industrie passera obligatoirement par une maîtrise de la chaîne numérique. Cependant, une espérance dans une technologie non mature pour l’industrie (surtout concernant la fabrication additive métal), mélangée à une volonté globale de pousser la technologie malgré un manque de vulgarisation, apporte son lot de déconvenues. Il est ainsi difficile d’intégrer la technologie dans le contexte industriel, même si beaucoup de développements sont très encourageants (surtout sur les petites et moyennes séries). Faire croire à une utilisation « clique bouton » comme on imprimerait sur des feuilles de papier est encore l’heure actuelle très difficile à défendre. Il a fallu des décennies pour que des procédés comme la fonderie ou la forge soient maîtrisés, et il en sera de même pour la fabrication additive. La différence notable tient certainement au fait que la maturité de la fabrication additive arrive avec une maîtrise de la chaîne numérique plus aboutie. Il est ainsi plus que nécessaire de comprendre qu’une bonne intégration de cette technologie passera forcément par une anticipation des problèmes, par des essais numériques, etc. grâce à la conception et à la simulation.
Des outils de CAO conçus pour la fabrication additive ?
Il est possible d’envisager de concevoir en fabrication additive en adaptant un modèle CAO (conception assistée par ordinateur) aux caractéristiques de la fabrication additive ou en définissant une méthodologie de conception qui tienne compte de la technologie. Il est bien entendu moins contraignant de s’intéresser à la conception en considérant un procédé de fabrication additive donné, quel qu’il soit, plutôt que de vouloir généraliser tous les procédés. En effet, les procédés laissent certes une plus grande liberté que les procédés de fabrication traditionnels, mais chacun comporte des contraintes et des caractéristiques qui différent entre elles. Il serait intéressant d’effectuer un choix parmi plusieurs procédés,
voir comparer soit entre eux, soit avec des procédés plus traditionnels. Pour cela, il faut disposer d’outils d’aide à la décision qui permettent de choisir le bon procédé de fabrication additive. Historiquement, les systèmes de CAO ne tiennent pas particulièrement compte de la fabrication additive. Leur développement a été influencé par des modes de fabrication plus traditionnels, notamment par usinage. Il est donc légitime de se poser la question de leur remise en cause dans le cadre d’une approche dédiée à la fabrication additive. Une modélisation fonctionnelle est ainsi de plus en plus nécessaire. Partir des englobants définissant un espace de conception et des fonctions que doit remplir la pièce à concevoir est la base d’une intégration numérique cohérente. Dans ce cadre, l’optimisation topologique offre une réponse intéressante.
Les outils CAO actuels sont basés sur une approche définie initialement pour des procédés de fabrication classiques.
L’une des problématiques d’une intégration efficace de la fabrication additive en CAO est que les outils de CAO actuels sont basés sur une approche définie initialement pour des procédés de fabrication classiques (la commande numérique puis la forge, la fonderie, etc.) comprenant différents modèles (généralement, un système utilise plusieurs d’entre eux) :
- Modèles volumiques implicites : CSG (Constructive Solid Geometry, arbre de construction) et ses extensions (paramétrage, features mécaniques...). Ces modèles largement utilisés ne facilitent pas particulièrement la conception pour la fabrication additive. Les features mécaniques ont été définies pour les procédés de fabrication traditionnels, d’où une interrogation sur la définition de features de fabrication additive, en s’appuyant toujours sur des modeleurs implicites.
- Modèles volumiques explicites (B-Rep – Boundary Representation) : issus d’un CSG ou avec détermination automatique des features (ce qui est souvent appelé modèle explicite dans le vocabulaire des éditeurs). Dans ce cadre, les features reconnaître ne sont pas obligatoirement les mêmes que dans un processus de fabrication plus traditionnel. Parmi les modeleurs explicites relativement peu utilisés en CAO, les modèles par les bo îtes (ou octree) semblent bien adaptés, par nature, à la fabrication additive.
- Modèles surfaciques traditionnels (Bézier, Bsplines, Nurbs, T-splines...) : ces modèles sont assez bien maîtrisés dans les systèmes de CAO en les associant, pour la représentation des solides, à un B-Rep. Leur utilisation pour la fabrication additive pourrait rester de la m me forme, sachant que les post-traitements pour la fabrication sont relativement simples (tranchage).
- Modèles surfaciques par décomposition : ces modèles existent maintenant dans certains systèmes de CAO, notamment pour concevoir des surfaces à « libres ». Issus du monde de la visualisation, ils ont un certain nombre d’atouts pour la fabrication additive, dans la mesure où il est possible de leur associer, par nature, des outils de construction conviviaux, faciles à appréhender pour des non-spécialistes.
Quels développements et quelles règles de bonnes pratiques ?
Il est indéniable que, malgré de nombreux atouts, la modélisation géométrique des systèmes de CAO actuels comporte des limites et des inconvénients pour la fabrication additive, par exemple pour modéliser des pièces multimatériaux et/ou pour manipuler de manière performante des treillis. Plusieurs approches permettent de donner des réponses à cette problématique :
- Le développement de règles de bonnes pratiques et de méthodologies pour préparer au mieux les modèles dédiés à la fabrication additive. La mise en place de systèmes base de connaissances (SBC) dédiés à la fabrication additive est une pratique courante dans les grands groupes. Il serait intéressant, dans ce cadre, d’utiliser les développements R&D autour des SBC pour la gestion de la connaissance ou les systèmes experts (développements qui remontent aux années 1980) pour développer des architectures structurant un modèle de connaissance pour la fabrication additive.
- L’utilisation et l’intégration d’outils dédiés à la fabrication additive. Un certain nombre d’outils et d’approches permettent de concevoir, ou de modifier, tout ou partie d’une pièce en intégrant des représentations géométriques dites « organiques » difficilement fabricables en utilisant des procédés traditionnels. Ainsi, de nombreux outils commerciaux et développements R&D proposent d’assister le concepteur pour modéliser des formes en rupture technologique par rapport aux formes traditionnelles : l’utilisation de l’optimisation topologique, l’intégration de structures/matériaux architecturés (lattices, formes unitaires architecturées paramétrées…). Il s’agit d’approches copiant la nature (matériau ou densité de matériau variant entre l’intérieur et l’extérieur), intégrées dans une démarche globale appelée « biomimétisme » : s’inspirer de la nature pour créer des produits économes en énergie et adaptés à leur environnement (forme adaptée à la fonction). Ces approches sont très intéressantes car elles permettent d’intégrer, dès le début de la conception, des exigences multifonctionnelles et multiphysiques : structurelles (gain de masse par exemple), thermiques, etc. Plusieurs difficultés sont malgré tout prendre en compte : les méthodes utilisées sont basées sur une modélisation de type maillage, l’intégration dans la chaîne numérique est difficile (même si des passerelles permettant de récupérer des modèles géométriques existent), les formes très compliquées des structures architecturées rendent difficiles des simulations fines multiphysiques, et l’intégration des contraintes métiers des procédés utilisés est encore un défi à relever.
La modélisation pour la fabrication additive est en pleine effervescence tant sur le développement de modèles géométriques dédiés que sur le déploiement d’outils permettant d’obtenir des formes fabricables presque uniquement en fabrication additive – le mot « presque » est volontaire car la fonderie a aussi une carte à jouer très intéressante sur les matériaux architecturaux (mousses métalliques notamment). Une rupture est malgré tout bien présente sur le développement de preuves de concept par rapport à une approche globale d’intégration de la fonction fabrication additive à la chaîne numérique. Cela demande naturellement du temps et les développements R&D sont à suivre de près.
Nicolas GARDAN
Responsable du Technocentre iNumLab de MICADO. Ingénieur docteur R&D, habilité à diriger des recherches (HDR dispensée par l’Université de Reims Champagne-Ardenne), spécialisé en simulation numérique, expert en modélisation et simulation pluridisciplinaires
(mécanique et biomécanique). Son équipe est au service des TPE / PME et des grands groupes sur un large panel de compétences : modélisation, simulation, CAO, fabrication additive… Elle permet aux entreprises d’effectuer des sauts technologiques et des montées en compétences, soit à travers le développement d’un projet technique, soit à travers une formation.
Contact : communication@afmicado.com